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André DE MORANGE, chef d’entreprise, 45 ans.

Jeudi 1er juin 1944

Voilà quatre ans, jour pour jour, que j’ai fait évacuer Madeleine et les enfants chez mes beaux-parents, à Avranches. Je pense que cela a été une sage décision : là-bas, ils ne manquent de rien et, bien au contraire, continuent de m’envoyer des colis de beurre, d’œufs et de viande avec lesquels notre chère Victorine confectionne des plats délicieux. Les Allemands sont de plus en plus nerveux, et les bombardements alliés plus fréquents. La nuit dernière, c’est Rouen qui a trinqué. Cela n’empêche pas mon entreprise de peinture de tourner à plein : nous avons deux frégates allemandes en carénage, et un aviso à repeindre. Et j’ai plusieurs commandes de ravalement en ville.


Dr Charles FERRIER, médecin, 58 ans.

Vendredi 2 juin 1944

Je continue mes visites, muni d’un laissez-passer signé par les autorités allemandes. J’ai  fait remettre en état la vieille Citroën « Trèfle » décapotable de mon beau-frère. On voit le sol à travers le plancher. Et comme elle ne possède pas de filtre à essence, je dois souvent m’arrêter sur le bas-côté pour démonter le carburateur et souffler dedans. Elle a régulièrement des crises de « shimmy », les roues se mettent à danser, je ne peux plus rouler droit. C’est de cette façon que j’ai terrorisé une colonne de soldats allemands qui m’ont vu zigzaguer en venant vers eux et se sont tous réfugiés sur le talus. Ce sera bien la seule fois où j’aurai mis en déroute l’armée d’occupation !


Irène COURTOIS, couturière, 25 ans.

Samedi 3 juin 1944

Le ciel grouille d’avions, il en passe tous les jours, surtout des gros bombardiers américains. La DCA ne parvient pas à les arrêter, et on dirait qu’il n’y a plus d’avions allemands pour les combattre. Les signaux d’alerte ont été modifiés, le début est marqué par 5 coups de sirène de 7 secondes et demie, et la fin par un long coup de plus d’une minute. Mais parfois, ça s’enchaîne si vite que je ne sais plus si l’alerte s’est arrêtée ou pas, je me perds dans mes comptes ! Aussitôt, avec mon mari, nous enveloppons notre petit Pierre dans une couverture et nous nous réfugions dans l’abri de l’enclave des Pénitents. Il peut contenir 60 personnes, mais j’ai parfois l’impression que nous sommes plus nombreux.


Hélène DORVAL, violoniste, 20 ans.

Dimanche 4 juin 1944

Décidément, les pilotes ne respectent pas le dimanche ! Aujourd’hui, nous avons eu  7 alertes et, ce soir, un grand bombardement sur le plateau. Ce matin, j’ai joué en quatuor à l’église Saint Joseph. Un baryton était venu de Rouen pour chanter la messe. Dans son sermon, l’abbé Ferrier a parlé des souffrances de la population, des privations, des sacrifices. Mais il s’est bien gardé de critiquer les Allemands… Voilà une semaine que Jean a disparu et ne me donne plus de nouvelles. Je crains qu’il ait rejoint un groupe de résistants. Et je viens d’apprendre que la Gestapo en a fait fusiller 18 dans la Vienne !


Gustave HORNOY, pompier, 38 ans

Lundi 5 juin 1944

Janine est rentrée de la campagne entre deux alertes, avec un peu de beurre, mais pas de viande : les paysans se sont fait voler leurs poules et leurs lapins. Il faudra se contenter d’omelettes et de ce pain de rationnement qui devient de plus en plus noir au fur et à mesure de la guerre ! Heureusement les enfants ont bon appétit. Rouen a été sévèrement bombardée jeudi dernier, je pars tout à l’heure accompagner la délégation de Défense Passive pour aider à déblayer. Pour l’instant, le Havre est encore préservé, mais pour combien de temps ? Nous avons juste eu une bombe qui est tombée à Sainte-Adresse, elle a tué deux malheureux jardiniers.


Paul COURTOIS, mécanicien, 28 ans.

Mardi 6 juin 1944

Tôt ce matin, il y a eu 11 hurlements de sirènes. Ça y est, les alliés ont débarqué de l’autre côté de l’eau. On entend d’ici le grondement de la canonnade, c’est une véritable armada. On voit des véhicules militaires allemands partout en ville, il y a comme un air de panique chez les Boches ! Il paraît que 7 parachutistes anglais ont été capturés à Fontaine-la-Mallet. Eugène, qui fait partie d’un groupe de résistants, est revenu me voir, il voudrait que je sabote les deux véhicules allemands que j’ai en réparation au garage. Je lui ai répondu que ça allait forcément me retomber dessus, et aussi sur ma femme et mon gosse. Alors il m’a demandé de faire des photos du port et de les développer. Il repassera les chercher. Il m’a donné un laissez-passer.


Flora GOURDON, lycéenne, 14 ans.

Mercredi 7 juin 1944

Hier, la libération de la France a commencé en Normandie. Je me demande si papa, dans son camp de travail en Allemagne, est aussi au courant. Ça lui donnerait du courage. Il me manque tellement. Peut-être que dans une semaine, nous serons libres ! Nous ne savons même pas s’il a bien reçu nos colis. Ici, au Havre, les Allemands ont interdit à toutes les automobiles de circuler, et les restaurants ont été obligés de fermer. Il ne reste que la soupe populaire ! Maman se débrouille toujours pour nous faire des repas, mais j’ai souvent faim, et je n’ose pas le lui dire. À l’école, j’ai appris un poème de Verlaine que j’adore, qui commence par : « Souvenir, souvenir, que me veux-tu ?… »